Benoit Ancel
Bonjour et bienvenue dans ce blog PTJAB
Nous allons parler aujourd’hui de la thématique de la céphalée. C’est un problématique que nous retrouvons très fréquemment en consultation.
Après quelques éléments physiopathologiques, nous explorerons dans ce blog les éléments qui nous permettent de différencier la céphalées cervicogéniques et les migraines.
Introduction
Les céphalées cervicogéniques (CCG) et les migraines sont deux types de céphalées qui partagent de nombreux symptômes rendant leur diagnostic difficile. Tandis que la migraine, une céphalée primaire sans cause sous-jacente identifiée, est généralement traitée par des médicaments, les CCG sont causées par des douleurs cervicales qui nécessiteraient une prise en charge physique. Une évaluation clinique précise est essentielle pour distinguer ces deux conditions et proposer un traitement approprié. À travers ce blog, je vais explorer ce que sont ces deux types de céphalées, les défis liés au diagnostic de ces deux conditions et examiner dans quelle mesure notre évaluation physique peut nous aider à cet égard.
1.Qu’est ce que la migraine et la céphalée cervicogénique ?
Etant donné que 66 % de la population est affectée par des céphalées, il est probable que chaque kinésithérapeute a rencontré ou rencontrera des personnes souffrant de cette condition dans sa pratique (Stovner et al., 2007). Cependant, il existe plus de 150 classifications de céphalées (ICHD-3, 2018). Il est donc important de clarifier ce que sont les CCG et les migraines pour mieux comprendre leurs critères diagnostiques. Les CCG sont une forme de céphalée dont 4% de la population générale pourrait être atteinte, et classée par l’International Headache Society (IHS) comme céphalée secondaire, dont l’origine est cervicale (Bogduk, 2014). Le fait que le cou puisse entrainer des maux de tête est possible en raison de la théorie de la convergence, selon laquelle les nerfs des structures cervicales superieures (disques de C0 à C3-C4, facettes, muscles) peuvent sensibiliser le nerf trijumeau dans la tête via un second neurone dans la colonne vertébrale appelé le noyau trijéminal (Bogduk, 2014). Cette connexion est bidirectionnelle : une douleur cervicale peut également être déclenchée par des structures de la tête. (Figure 1, bogduk 2014)
En revanche, la migraine impactant près de 15% de la population est une céphalée idiopathique, dite primaire, ce qui signifie qu’il n’y a pas de cause sous-jacente connue. Le mécanisme de cette céphalée semble provenir du cerveau : une forte excitation (dépolarisation) des neurones se produit, déclenchant une inflammation des vaisseaux de la dure mere (système trigémino-vasculaire), ce qui à leur tour va sensibiliser les neurones du cerveau (système nerveux central via le nerf trijumeau). L’activation de l’inflammation des vaisseaux provoquerait les douleurs à la tête, et l’excitation du système nerveux central entrainerait une sensibilisation centrale et les symptômes associés : allodynie (douleur alors que le stimulus ne devrait pas être douloureux), douleur diffuse, hyperalgésie (sensibilité accrue à un stimulus douloureux…) (M. Ashina et al., 2019). La migraine a donc une composante périphérique et centrale de la douleur, et peut se présenter sous deux formes : la migraine avec aura, caractérisée par un déficit neurologique transitoire avant la crise de douleur (ex. hémiparésie, perte partielle de la vue). L’autre forme est la migraine sans aura, qui partage de nombreux symptômes avec les CCG.
2.Quels sont les défis de ces deux types de céphalées ?
Les migraines et les CCG présentent de nombreux symptômes communs, mais leur stratégie de traitement est différente. Une explication probable à cette similarité est que les mécanismes pathologiques de ces céphalées partagent le nerf trijumeau (figure 2, prise sur le site Vidal). En clinique, cela se traduit par des patients des deux conditions présentant des symptômes similaires : douleur d’un seul côté de la tête, photophobie (sensibilité à la lumière), phonophobie (sensibilité aux sons), et des douleurs cervicales, ce qui entraîne une confusion diagnostique (Blumenfeld & Siavoshi, 2018).
Figure 2 : territoire d’innervation du nerf trijumeau
Cependant, leurs traitements respectifs sont différents : comme la condition sous-jacente de la migraine est l’inflammation, les médicaments sont utilisés comme traitement de première intention (Dodick, 2018). Les CCG, en revanche, sont traitées de manière à réduire la douleur cervicale censée être la source de la céphalée, ce qui repose sur un traitement physique incluant manipulations, mouvements et exercices (Fernandez-de-las-penas & Cuadrado, 2014). Il est donc essentiel de diagnostiquer correctement l’une ou l’autre pour offrir le traitement approprié au patient.
3.Comment pouvons nous les différencier ?
Il existe plusieurs classifications pour aider le clinicien à diagnostiquer l’une ou l’autre. Le diagnostic de la migraine est symptomatologique, et le gold standard repose sur les caractéristiques listées par l’ICHD-3 :
Figure 3 : classification de la migraine (ICHD-3)
Cependant, les critères diagnostiques pour les CCG sont encore débattus dans la littérature (Avijgan et al., 2019). L’objectif général est de montrer un lien entre les structures du cou et l’apparition de la céphalée. Selon l’IHS, critères diagnostic sont les suivants :
Figure 4 : classification cephalée cervicogène (ICHD-3)
Le gold standard est considéré comme étant le double bloc diagnostique contrôlé, pour lequel la céphalée devrait être soulagée d’au moins 80 % après l’injection d’un anesthésique dans les nerfs des structures cervicales (Bogduk, 2014). Cependant, cette procédure est invasive et n’est pas accessible à tous les cliniciens. Un autre outils proposé par l’IHS serait les imageries du cou montrant une atteinte des structures pouvant expliquer la céphalée. Mais elles ont une utilité clinique limitée, car leurs résultats ne sont pas nécessairement liés à une maladie ou à une douleur (Bogduk, 2009). Pour finir, le critère correspondant à l’amélioration des maux de têtes associés à la résolution du trouble cervical peut difficilement aider un clinicien lorsqu’il doit diagnostiquer le patient alors que celui-ci a des douleurs non traitées. Par conséquent, le groupe d’étude international sur les céphalées cervicogéniques (CHISG) a proposé d’autres critères incitant les cliniciens à se fier à leur examen clinique :
Figure 5 : classification céphalée cervicogénique CHISG (Antonacci et al. 2001)
Plusieurs études ont évalué que les critères du CHISG pourraient différencier la migraine et les CCG avec une bonne sensibilité (Vincent et al., 1999, Sjaatsad, 2008). Comme cette classification ne permet pas un diagnostic définitif, un diagnostic de CCG possible est utilisé lorsque la personne présente 2 items (douleur commençant dans le cou et douleur à la tête sans changement de côté), et probable pour 5 des 7 critères (Antonaci et al., 2001).
En résumé, les classifications permettent de différencier partiellement les CCG des migraines, c’est pourquoi nous pouvons nous demander dans quelle mesure une évaluation physique approfondie pourrait aider les cliniciens, ce que nous verrons dans une deuxième partie!
Bibliographie
Antonaci, F., S. Ghirmai, G. Bono, G. Sandrini, et G. Nappi. « Cervicogenic headache: Evaluation of the original diagnostic criteria ». Cephalalgia 21, no 5 (2001): 573 83. https://doi.org/10.1046/j.0333-1024.2001.00207.x.
Ashina, Messoud, Jakob Møller Hansen, Thien Phu Do, Agustin Melo-Carrillo, Rami Burstein, et Michael A. Moskowitz. « Migraine and the trigeminovascular system—40 years and counting ». The Lancet Neurology 18, no 8 (2019): 795 804. https://doi.org/10.1016/S1474-4422(19)30185-1.
Blumenfeld, Andrew, et Sara Siavoshi. « The Challenges of Cervicogenic Headache ». Current Pain and Headache Reports 22, no 7 (2018): 1 5. https://doi.org/10.1007/s11916-018-0699-z.
Bogduk, Nikolai. « The neck and headaches ». Neurologic Clinics 32, no 2 (2014): 471 87. https://doi.org/10.1016/j.ncl.2013.11.005.
Dodick, David W. « Migraine ». The Lancet 391, no 10127 (2018): 1315 30. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(18)30478-1.
Fernández-de-las-Peñas, C., et M. L. Cuadrado. « Cervicogenic Headache ». In Encyclopedia of the Neurological Sciences, 738 42. Elsevier Inc., 2014. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-385157-4.01107-6.
Internationale, Classification, The International Classification, Headache Disorders, International Headache Society, City Road, Londres Ec, La Soci, et International Headache Society. « La Classification Internationale des Céphalées 3e édition », 2018.
Sjaastad, O. « Cervicogenic headache: Comparison with migraine without aura; Vågå study ». Cephalalgia 28, no SUPPL. 1 (2008): 18 20. https://doi.org/10.1111/j.1468-2982.2008.01610.x.
Stovner, L. J., K. Hagen, R. Jensen, Z. Katsarava, R. B. Lipton, A. I. Scher, T. J. Steiner, et J. A. Zwart. « The global burden of headache: A documentation of headache prevalence and disability worldwide ». Cephalalgia 27, no 3 (2007): 193 210. https://doi.org/10.1111/j.1468-2982.2007.01288.x.
Vincent, MB, et RA Luna. « Cervicogenic headache: a comparison with migraine and tension-type headache Cephalalgia ». Cephalalgia, no 21 (1999).