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Pierre-Loup Mercier

Bonjour et bienvenue dans ce blog PTJAB

Nous allons parler aujourd’hui de la thématique de l’incertitude en pratique clinique, plus précisément de l’intolérance à celle-ci. 

Comment impacte-t-elle notre pratique ? Comment l’évaluer ? Comment l’améliorer ? Pierre-Loup répond à toute ces questions ici. 

 

 

     Introduction

   L’incertitude représente une part importante de la vie d’un clinicien. En effet, dans le paradigme holistique aujourd’hui retenu pour améliorer la qualité des prises en charge, la complexité des situations rencontrées est grande, car chaque humain est différent.

   Dans ces conditions, la gestion de l’incertitude revêt une importance majeure pour le raisonnement clinique.

     1.Qu’est ce que l’intolérance à l’incertitude ?

 

L’incertitude est présente à différents moments du raisonnement clinique et des prises en charge

des patients.

On peut la retrouver lorsqu’on doit émettre un diagnostic précis, ou prendre une décision quant au traitement à privilégier (1). Elle est même présente lorsqu’il faut se représenter globalement une situation de soin. 

 

Dans les différentes professions médicales, il existe de l’intolérance à cette incertitude, qui amène à des erreurs de raisonnement clin

ique.

Ainsi, cette intolérance peut amener un clinicien à prescrire des examens ou des tests cliniques non nécessaires, à renvoyer plus souvent vers ses collègues, et donc à retarder l’application d’un traitement. Cela amène même d’autres comportements, comme la rétention d’information auprès du patient ou la prescription de traitement générique non adapté (2).

 

Han et ses collègues ont tenté de modéliser les conséquences liées à l’incertitude en kinésithérapie (ici représenté pour un traitement du cancer) (3) :

     2.Les facteurs de risque de l’intolérance à l’incertitude

 

Il semblerait que l’inexpérience et les spécialités dont la prévalence de pathologies difficilement différenciables (accès direct) soient en lien avec une forte intolérance à l’incertitude (4)

Le lien entre la tolérance à l’incertitude et la santé mentale des thérapeutes semble également fort (2,4).

 

Dans une kinésithérapie française qui avance à grands pas vers l’accès direct (aujourd’hui ouvert aux kinésithérapeutes dans les CPTS, à l’hôpital, et dans les maisons de santé), il semble donc essentiel de détecter ce problème de raisonnement clinique qu’est l’intolérance à l’incertitude

     3.Comment détecter l’intolérance à l’incertitude ?

 

L’intolérance à l’incertitude peut être détectée par l’observation du raisonnement et des actions d’un clinicien ou d’un étudiant, lors de simulation ou mise en situation réelle.

Il semble donc important en tant qu’enseignant ou tuteur, voire de collègue ou superviseur, de porter une attention sur les comportements suivants.

Si vous observez une répétition très importante de tests, un déclenchement très lent pour l’action, et une difficulté à prendre des décisions seuls, vous pouvez vous poser des questions sur la tolérance à l’incertitude de votre sujet.

 

Il existe également des échelles, qui aujourd’hui montre une validité interne correcte, comme la Physician’s Reactions to Uncertainty scale 1990 et 1995 (PRU1990 et PRU 1955) (5).

     4.Comment améliorer la tolérance ?

 

La prise de décision face à une situation de soin peut se modéliser comme suit (6) :

Des études montrent que plus on est expérimenté, plus la zone orange diminue, et plus on est capable d’agir dans l’incertitude (7).

 

L’objectif de la prise en charge de la tolérance à l’incertitude est donc d’abaisser le seuil de déclenchement de l’action “traiter”, et d’augmenter le seuil de l’action “tester”.

 

Pour cela, la littérature nous oriente vers l’ajout de séquence dédiée lors de la formation initiale. On peut même sélectionner quelques interventions pédagogiques permettant de diminuer son intolérance à l’incertitude, comme l’apprentissage par problèmes, la simulation et le débriefing, ou l’étude des sciences humaines en médecine (8).

     Conclusion

 

L’intolérance à l’incertitude semble être une donnée essentielle pour l’amélioration du raisonnement clinique, et donc de la prise en charge de nos patients.

Elle semble également importante à prendre en compte si on veut augmenter la qualité de vie et de travail des cliniciens.

 

Il est donc important de la détecter au plus tôt, dès les études initiales, afin de la diminuer.

 

Pour cela, il existe des solutions pédagogiques et environnementales, donc les instituts de formation devraient s’emparer pour permettre à nos cliniciens de mieux gérer cette incertitude.

Voici donc un modèle (8), permettant d’implémenter ces solutions :

 

 

     Bibliographie

(1). Abecassis P. Incertitude médicale et processus de décision.

(2). Brun C, Zerhouni O, Akinyemi A, Houtin L, Monvoisin R, Pinsault N. Impact of uncertainty intolerance on clinical reasoning: A scoping review of the 21st-century literature. J Eval Clin Pract. avr 2023;29(3):539‑53.

(3). Varieties of Uncertainty in Health Care: A Conceptual Taxonomy – Paul K. J. Han, William M. P. Klein, Neeraj K. Arora, 2011 [Internet]. [cité 4 juill 2024]. Disponible sur: https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0272989X10393976

(4). Begin AS, Hidrue M, Lehrhoff S, del Carmen MG, Armstrong K, Wasfy JH. Factors Associated with Physician Tolerance of Uncertainty: an Observational Study. J Gen Intern Med. mai 2022;37(6):1415‑21.

(5). Stephens GC, Lazarus MD, Sarkar M, Karim MN, Wilson AB. Identifying validity evidence for uncertainty tolerance scales: A systematic review. Med Educ. sept 2023;57(9):844‑56.

(6). Pauker SG, Kassirer JP. The threshold approach to clinical decision making. N Engl J Med. 15 mai 1980;302(20):1109‑17.

(7). Stojan JN, Daniel M, Hartley S, Gruppen L. Dealing with uncertainty in clinical reasoning: A threshold model and the roles of experience and task framing. Med Educ. févr 2022;56(2):195‑201.

(8). Patel P, Hancock J, Rogers M, Pollard SR. Improving uncertainty tolerance in medical students: A scoping review. Med Educ. déc 2022;56(12):1163‑73.